– Allegro vivace e con brio
– Allegretto scherzando
– Tempo di Menuetto
– Allegro vivace
« Une petite symphonie » disait Beethoven de sa Huitième, se référant sans doute à ses dimensions relativement modestes après l’impressionnante Septième. Une petite symphonie ébauchée avant cette dernière, mais achevée quelques mois après, à Linz en octobre 1812, et de nouveau liée à elle pour sa création, le 27 février 1814 à Vienne.
Au programme donc, les deux symphonies, un trio pour soprano, ténor et basse, et « La Bataille de Vittoria » composée en 1813. D’où, peut-être, l’accueil un peu tiède du public, tant il est vrai qu’elle pouvait, si l’on se réfère au compte rendu de Schindler, sembler écrasée par les deux grandes œuvres qui l’accompagnaient : « Quiconque peut imaginer une assemblée de 5000 auditeurs, à la gaieté accrue par la commotion des événements récents sur les champs de bataille de Leipzig et de Hanau, mais conscients également de la grande valeur de l’art offert pour leur plaisir, aura une idée de l’enthousiasme manifesté par cette vaste compagnie d’amateurs d’art. Les explosions de joie pendant la Symphonie en la majeur et la Bataille de Vittoria (…) dépassèrent tout ce qu’on avait entendu jusque là dans une salle de concert ».
Moins visionnaire que la Septième, la Huitième symphonie de Beethoven ne lésine pas pour autant sur les effets dramatiques. Ainsi, au terme du premier mouvement, après un saillant accord noté fff – dissonante septième diminuée avec quinte altérée –, l’évanouissement de l’orchestre sur un dernier accord longuement répété. Ainsi encore l’utilisation presque abusive des cadences dans le finale, fortissimo moins trivial que satirique, empruntant aux piètres musiciens leur incapacité à finir autrement que par le martèlement d’une tonique conclusive. Beaucoup plus ambitieuse que celle d’origine, cette coda était un merveilleux appel aux applaudissements, traduisant l’ironique envie de poursuivre – « non je ne finirai pas, non je ne finirai pas… » – et insistant en fait sur la sensation même de conclusion : « J’ai fini, j’ai fini, j’ai fini ! ». Fallait-il penser à ce point à l’auditeur qui n’aurait pas perçu les limites extrêmes du développement ? L’antagonisme entre dénouement et inachèvement était en fait préparé dès le thème initial, par sa façon de se briser prématurément sur des modulations inattendues après des sforzandi eux-mêmes ressassés, et par son ultime temps de deux mesures, retour trop rapide pour faire fonction de véritable coda, mais donnant néanmoins l’envie que tout cela recommence. Il était annoncé dès les premiers instants et cette manière d’attaquer la ligne mélodique avec un simple accord, d’abandonner toute autre forme d’introduction, comme si ces mesures n’étaient pas les premières ; l’auditeur aurait pris le train en route, et sa surprise n’en est que plus grande lorsque ce train s’emballe pour ne plus s’arrêter.
De tout cela, l’explication se trouve peut-être dans le deuxième mouvement, Allegretto scherzando dont le thème appartient aussi à un canon dédié à Johann Nepomuk Maelzel*. Le texte de cette petite farce musicale caractéristique de Beethoven ? « Ta-ta-ta (etc), mon cher Maelzel, ta-ta-ta (etc), en avance sur son temps, ta-ta-ta (etc), adieu, triste adieu, ta-ta-ta (etc), grand, grand métronome, ta-ta-ta (etc). » On comprend bientôt le sens d’un tel commencement sans début et d’une conclusion sans fin. Car si le célèbre inventeur du métronome avait en partie plagié la découverte de Diederich Nicolaus Winkel (premier à avoir imaginé une mécanique satisfaisante pour résoudre les problèmes techniques des pendules à vitesse variable depuis les représentations d’Etienne Loulie en 1696), c’était bien à lui que Beethoven devait ses cornets acoustiques et systèmes d’écoute raccordés au piano pour pallier à son audition déficiente, devait l’organisation, le 8 décembre 1813, de la création de la Septième et de La bataille de Vittoria, et finalement cette nouvelle appréciation du temps musical. Son enthousiasme pour le métronome avait été immédiat : « Qu’y a-t-il de plus absurde que Allegro, qui signifie une fois pour toutes joyeux, alors que nous sommes souvent si éloignés du sens de cette indication, de telle sorte que le morceau lui-même dit le contraire de l’indication. (…) quant à moi, j’ai imaginé depuis longtemps renoncer à ces appellations absurdes Allegro, Andante, Adagio, Presto; le métronome de Maelzel nous en donne la meilleure occasion. »
Certes, Beethoven aurait encore rappelé que le métronome n’est pas plus utile à celui « qui a un sentiment juste » qu’à celui « qui en est dépourvu », et que le sentiment ne peut en fait s’exprimer tout à fait selon ses degrés. Mais les battements réguliers ponctuant l’Allegretto scherzando ne sont qu’un élément de plus pour confirmer ce mélange de plaisanterie et de réflexion plus sérieuse, un mélange que confirme le menuet classique plus haydnien que beethovenien, d’un classicisme que l’on aurait cru oublié. Gracieuse plutôt que prophétique, légèrement en retrait pour ne pas avoir fait école comme les autres, la « petite » Huitième étonne. Son charme et son naturel lui sont bien particuliers. Et à ceux qui se demandent encore si, comme Maelzel, elle était en avance ou en retard sur son temps, sans doute faut-il répondre que cela n’a aucune d’importance, que dans cette ambiguïté se trouve précisément sa signification.
* A Maelzel, Beethoven offrit notamment La victoire de Wellington, conçue spécialement pour un de ses instruments mécaniques, le « panharmonica » ou « panharmonicon ».
François-Gildas Tual
Nomenclature orchestrale :
2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, timbales et cordes.