Debussy fut longtemps mal compris, voire déprécié. C’est Olivier Messiaen, l’un des premiers en France, qui sut lui redonner la place qu’il méritait et, par le biais de sa chaire d’analyse au Conservatoire de Paris, conduire de jeunes musiciens vers la découverte esthétique de ce monde si personnel, « Non seulement Debussy allait être intégré aux problèmes de la musique contemporaine, mais plus encore, loin d’y jouer le modeste rôle de précurseur, allait révéler une technique compositionnelle que cette même musique contemporaine semble souvent avoir ignoré. » (1) Son « irrationalité rythmique » ainsi qu’un « phénomène sonore en renouvellement permanent » allaient être deux piliers essentiels d’une œuvre qui reste, dans sa globalité, singulière, tant les influences qui l’habitent sont hétérogènes…[…] ses réussites les plus éclatantes [étant] peut-être nées au hasard des cheminements les plus contestables. » (2)
La Fantaisie fut écrite entre 1889 et 1890. Dédicacée à son ami le pianiste et compositeur, René Chansarel. Debussy ne voulut pas la joindre « aux envois » qu’il était censé faire parvenir de la Villa Médicis où il était pensionnaire depuis 1885…Il la destinait à un concert de la Société nationale de musique à Paris, en avril 1890, au piano, Chansarel et au pupitre, Vincent d’Indy (dont certaines influences de la Symphonie cénévole peuvent être perçues dans la partition), mais ce dernier, par manque de temps, voulut exécuter qu’un seul des trois mouvements…Debussy refusa. La création de la partition eut lieu à Londres, en 1919, sous les doigts d’Alfred Cortot et le Royal Philharmonic Orchestra…Mais, la version revisitée de la main de Debussy ne fut publiée qu’en…1968 !
Son refus de 1890, n’était pas une coquetterie mais le caractère éminemment cyclique de la Fantaisie n’autorisait aucun morcellement, à moins d’une trompeuse prestation. De plus, la volonté de Debussy n’est pas d’opposer le piano à l’orchestre, mais bien de créer une texture sonore globale, disons un « pianorchestre » !!!
La Fantaisie obéit à la découpe tripartite conventionnelle, tout comme l’est sa tonalité de sol majeur.
(incongrue, voire caricaturale comme la 8e de Dvorak). Le premier mouvement débute par une brève introduction, Andante ma non troppo, où les bois déroulent avec un brin de mélancolie le thème cyclique (1er thème) sur lequel vient bientôt s’arrimer le piano sur trilles aigus (autre élément constitutif du discours) : Allegro giusto. Celui-ci fera entendre, plus tard, un second thème beaucoup plus chantant. Le développement, qui va s’animant, se pare d’un piano assez fauréen, tandis que des appels de cuivres (puis de bois) en fond semblent déjà annoncer, Pelléas…La réexposition juxtaposera les deux thèmes, l’un à l’orchestre, l’autre au piano, laissant à sa coda tout loisir d’éclater en une fanfare fortissimo.
Avec le deuxième mouvement, Lento e molto espressivo, changement radical d’atmosphère (par un subtil jeu d’enharmonies, nous sommes passé de sol à fa dièze majeur), à la fièvre précédente succède une plage emplie de poésie et de charme (tapis de cordes et clavier) où le piano regagnant un véritable statut de protagoniste, va pouvoir dialoguer avec l’orchestre, les bois, et plus tard, les cuivres étant privilégiés. Cette sérénité dominante ne sera troublée que par une éphémère agitation…mais, c’est bien dans l’apaisement que va ressurgir le thème cyclique avant qu’une Quasi cadenza du piano nous conduise vers le dernier mouvement, sans césure, réamorçant imperceptiblement son sol majeur. L’Allegro molto , d’allure pimpante, fait entendre de multiples transformations du thème cyclique, dont en un puissant Marcato, avant que ne soient ressassées à l’envie les idées favorites du musicien, que Poulenc qualifia méchamment de « style bégue »…Une plage médiane, bref oasis de calme, laisse chanter le piano, le violon solo, le cor anglais, la flûte, avant que n’enfle à nouveau la texture sonore recouvrant son Marcato, promptement suivi par la plus réjouissante des résolutions, un final aux allures de toccata !
Alice BLOT
(1) Jean Barraqué, « Debussy », Editions du Seuil, Paris, 1962
(2) Ibid
Nomenclature orchestrale :
3 flûtes, 3 hautbois (le 3ème jouant aussi le cor anglais), 3 clarinettes (la 3ème jouant aussi la clarinette basse), 3 bassons, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, timbales, percussion, 2 harpes et cordes.
Durée approximative : 25 minutes