Composé en 1947
Reconstitution : 1998, par le professeur Chou Wen-Chung
Une triste farce que l’origine de Tuning Up, morceau qui ne nous est parvenu que sous la forme d’ébauches. En 1947 sort le film de Boris Morros : Carnegie Hall. Pour générique, le son d’un orchestre qui s’accorde tandis que défile l’impressionnante liste de musiciens invités, Walter Damrosch, Fritz Reiner et Bruno Walter parmi d’autres. Mais sait-on seulement que Bruno Morros a propose à Varèse de concevoir une parodie de cet orchestre, et de la faire jouer par le Philharmonique de New York, sous la direction de Stokowski ? Varèse aime le cinéma ; a-t-il oublié que Morros lui a refusé quelques années plus tôt les studios de son d’Hollywood ? Toujours est-il que la proposition semble n’être qu’une boutade, aussitôt oubliée par le réalisateur, tandis que Varèse se met au travail.
De l’expérience demeurent alors quelques esquisses pour à peu près trois minutes de musique, non sans citations d’œuvres antérieures. Tuning up puise ses gestes instrumentaux dans Amériques, Arcana, Ionisation ou Intégrales, sans oublier Espace, projet de symphonie avec chœur dont ne sera finalement réalisée qu’une Étude. « Les notations les plus énigmatiques dans les ébauches sont les nombreux signes de crescendo et de diminuendo, importants (par la taille) et longs (par le nombre de mesures) », relève Chou Wen-Chung. « Ils ne sont pas synchronisés avec les indications dynamiques destinées aux instruments, qu’ils contredisent souvent. On pourrait facilement admettre que Varèse avait quelques moyens électroniques à l’esprit. » En 1998, Chou Wen-chung a décidé de reprendre les pages abandonnées par son ancien professeur. Son travail de reconstitution a consisté à recoller les morceaux autant qu’à interpréter des indications elliptiques, en intégrant par exemple les sirènes d’Ionisation. Vraisemblablement, Varèse a eu l’idée de partit du la donné par le hautbois. La note devient tierce, bribe mélodique, lutte contre les échauffements désordonnés des musiciens, puis se noie dans différentes configurations de timbres et d’harmonies, violemment projetées par l’orchestre. Bien sûr, on pense aux premières notes de la Neuvième symphonie de Beethoven, et à son étagement de quintes inspirées par les cordes à vide du violon ; l’introduction soulignait la nécessité pour les musiciens de s’harmoniser afin de constituer un tout cohérent et de jouer ensemble. Mais la pièce varésienne paraît moins jouer sur la construction de l’accord que sur sa déconstruction, pour s’achever sur l’unisson tant espéré. Comme si, en revenant à un moment antérieur, à la source de la musique, elle était parvenue à en comprendre l’essence. « J’emprunte souvent mes titres aux mathématiques ou à l’astronomie », expliquait Varèse, « parce que ces sciences stimulent mon imagination et me donnent une impression de mouvement, de rythme. Je trouve plus d’inspiration musicale dans la contemplation des étoiles – surtout à travers un télescope – et dans la haute poésie d’une démonstration mathématique que dans le récit le plus sublime des passions humaines. » Accord ou désaccord, Tuning up est l’exploration d’une structure confrontée aux manières individuelles, dont la dimension théâtrale s’ajoute à celle spatiale si typique de l’écriture de Varèse.
François-Gildas TUAL
Durée : 5 minutes environ
Nomenclature orchestrale : 3 flûtes (la 3ème jouant aussi le piccolo), piccolo, 3 hautbois, cor anglais, 3 clarinettes, clarinette basse, 3 bassons, contrebasson, 4 cors, 4 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales, percussions, harpe, cordes
Première exécution à Monte-Carlo