Le 1er mai 1761, Haydn signe son contrat d’engagement avec les Esterhazy (le prince Paul Anton meurt en mars 1762, son frère Nicolas lui succède) : il sera vice-maître de chapelle à Eisenstadt. aux côtés de Werner (jusqu’en 1765). La symphonie domine sa production (il n’écrit aucun quatuor et aucune musique religieuse, celle-ci étant à la charge de Werner). Parallèlement à quelques pièces de circonstance, il écrit des trios et de la musique pour clavier ne représentant pas d’évolution marquante par rapport à la période précédente (où il officie chez le Comte Morzin), à la différence de ses symphonies qui font un spectaculaire bond en avant, tant en qualité qu’en diversité. Si elles conservent leur énergie et leur concision, elles gagnent en densité, en dynamisme et en couleurs (Haydn avait un orchestre à sa disposition). Sur les dix-neuf symphonies écrites au cours de ces cinq années, la plupart ont survécu sous forme d’autographe et peuvent être datées précisément. Les symphonies n°6, 7 et 8 forment une incontestable trilogie (seul cycle formel) et les premiers authentiques chefs-d’oeuvre de l’histoire du genre. Leurs titres mêmes sont originaux car le prince Paul Anton avait donné à Haydn pour thème de composition, les heures du jour. Il lui aurait également demandé de faire référence à Gluck, qui venait de donner son « Don Juan » à Vienne et s’apprêtait à faire représenter son « Orfeo » ; Vienne où Gluck était sans conteste « le » compositeur vedette…Avéré ou non, Haydn connaissait suffisamment les goûts de son princier employeur pour devancer ses désirs….Ces trois symphonies se caractérisent par une similitude assumée avec le concerto grosso baroque et la musique italienne début de siècle. Les instruments (vents mais aussi cordes, y compris contrebasse) sont traités en solistes comme si Haydn voulait faire briller, aux yeux de son prince, les instrumentistes comme lui, nouvellement engagés…Sur le plan de l’écriture de nombreux procédés se rattachent au baroque (notes répétées aux basses, rythmes pointés, séquences entières tenant lieu de développements, etc.) mais Haydn les intègre à des structures tout à fait modernes….Et, chez Haydn la structure est fondamentale, c’est elle qui définit l’expression.
Des trois, la Symphonie n°8 en sol majeur est la plus classique, notamment en ses premier et troisième mouvements. L’Allegro molto (sol majeur)est le premier grand exemple de monothématisme chez Haydn symphoniste : les trente-trois premières mesures sont une citation quasi intégrale de l’air de Gluck, « Je n’aimais pas le tabac beaucoup » tiré de son opéra comique, « Le Diable à quatre » (1759) ; air qui était sur toutes les lèvres de Vienne…De ce matériau offert par Gluck, Haydn utilise absolument tout, adjoignant à son discours de vigoureuses doubles croches…Chaque volet, ABA’ est repris. Le mouvement lent, Andante – (Adagio) (ut majeur) pour cordes, violons I et II solos, violoncelle solo et basson solo déroule un chant italianisant, plutôt serein, qui sera présenté en deux volets (avec reprise), dans le premier par les deux violons solos, dans le second, par le basson et le violoncelle solos. Ce thème annonce celui du mouvement correspondant dans le Quatuor en mi bémol, opus 33, N°2, La Plaisanterie… Le Menuet fait entendre un thème vigoureux, ample, dont l’allure populaire rappelle celui du premier mouvement et se distingue par sa périodicité régulière et ses oppositions cordes/ Vents. Le Trio fait la part belle à la contrebasse. Le finale est un Presto à 6/8 intitulé La Tempesta selon une tradition illustrée par Vivaldi (La Tempesta del Mare) : les notes répétées des violons solistes créent un sentiment d’attente, les traits de flûte simulant les éclairs de foudre et les triples croches incisives engendrent une tension qui ne se relâchera que sur l’accord conclusif.
Dès cette époque, Haydn symphoniste (entre autres!) laisse loin derrière lui ses prédécesseurs et ses contemporains….art incommensurable et unique que le musicologue Blotzwichkeit qualifie de « lumineuse clarté »…(1)
Alice BLOT
(1) Arlus Blotzwichkeit in Fondements du classicisme musical à l’aune du concept de beau, Paris, 1998