Adagio, Allegro
Andante
Presto
Cette Symphonie en ré majeur, atypique à plus d’un titre, précède la « trilogie » des trois grandes dernières : celles en mi bémol majeur, sol mineur et ut majeur ; tonalités qui « forment » l’accord parfait d’ut mineur (do/ mi bémol/ sol) et renforcent la symbolique ternaire : trois bémols à la clé et trois œuvres d’un genre dont elles marquent l’apogée au XVIIIe siècle. Quoi qu’il en soit, l’on ne saurait ignorer toute la portée maçonnique que Mozart veut donner à cette œuvre.
Composée à Vienne en décembre 1786, conjointement au Concerto pour piano n°25 en ut majeur (la Symphonie n°38 ayant été terminée deux jours plus tard), ce couple d’œuvres jumelles est écrit en prévision d’un voyage à Prague que Mozart accomplira dès le début de l’année suivante ; Prague, où fin 1786, son opéra, « Les Noces de Figaro » avait reçu un tel succès que le compositeur fut, au moment de Noël, invité à s’y rendre par ses frères de Loge. Pour ce musicien dont l’amour du public (comme de tout son entourage d’ailleurs), était un besoin quasiment maladif, rien n’aurait pu stimuler davantage ses facultés créatrices.
L’absence de clarinettes dans la Symphonie ne dépend pas d’un choix musical délibéré, mais d’une merveilleuse preuve de tact à l’égard des musiciens de l’orchestre de Prague, dont Mozart ne connaissait pas précisément l’effectif ; or, écrire la partie d’un instrument improbable aurait pu être blessant pour ses hôtes…Ce problème d’ordre organologique permet d’ailleurs de rétablir la vérité sur les rapports que Mozart entretenait avec la flûte. La légende selon laquelle il détestait la flûte est le résultat d’un méchant malentendu consigné dans les Mémoires de Joseph Frank, citant une lettre adressée par Wolfgang à Léopold : « … […] Par ailleurs, comme vous le savez, j’en ai vite assez d’avoir à écrire toujours pour le même instrument : ça, je ne peux le souffrir… […] ». (Mannheim, 1777)
Il n’en fallait pas davantage pour, cumulé avec certains ragots, « interpréter » : la flûte comme « bête noire » de Mozart !
Sachant toute l’amitié qui l’attend dans la capitale tchèque, Mozart peut mettre, sans réserve, toute son expression dans cette partition qui, synthétisant les acquis tout en se projetant vers l’avenir, est l’une des représentations les plus abouties de l’idéal mozartien.
La Symphonie en Ré, pour les Massin, « marque la fusion de l’individuel et de l’universel sous l’influence maçonnique ».
Si, précédemment, nous parlions de symphonie « atypique », c’est d’abord qu’elle ne se compose que de trois mouvements. Or, il n’est pas question d’évoquer ici le moindre retour à la Sinfonia italienne, marque du baroque triomphant, mais plutôt une marque supplémentaire (et, pour le moins audacieuse), de la symbolique ternaire. Quant à l’utilisation de ré majeur (deux dièses à la clef), elle ne faillit pas au respect de ce symbolisme ostentatoire. Car, si Mozart n’aime pas écrire « longtemps » pour le même instrument, il ne s’est pas toujours restreint à la seule tonalité de mi bémol majeur pour exprimer ses intentions maçonniques beaucoup trop nombreuses dans tout son œuvre. Avant d’intégrer lui-même la Loge de la Bienfaisance à Vienne, en 1784, Mozart fréquentait assidûment ses futurs Frères, il emploie donc quelques « variantes » tonales, dont, ici, ré majeur (ton de la noblesse intérieure).
Son introduction lente (Adagio), suivi de l’Allegro initial, peut être entendu comme une prémonition de La Flûte enchantée avec son motif de notes liées en grupetto (répété 3 fois), les silences que ponctuent de larges accords (souvent des 7ème diminuées amenant une nouvelle coloration tonale), les motifs chromatiques (descendants ou ascendants, procédé typiquement mozartien pour assurer, sans immobilisme, une stabilité tonale unique (cf Mozart, 250 ans plus tard), etc. Si l’adagio introductif revêt un climat de calme assurance et de confiance, l’Allegro se présente comme une bataille, un combat dominé par un souffle héroïque dans son premier thème, tandis que le second, apaisé, reflète une joie que l’on pourrait qualifier de sereine, s’il n’était toujours repris, la seconde fois, en mineur !!!
L’andante (en sol majeur) paraît s’engager sur la voie de l’harmonie universelle tant souhaitée, mais les inquiétudes, les menaces, encore trop nombreuses, envahissent les portées : le tragique domine sans relâche, et ce ne sont pas les incessantes alternances majeur/mineur qui peuvent l’éradiquer… pas davantage que le troisième et dernier mouvement.
Ce presto Final est un des ces « étranges mouvements en RE », dont parle Alfred Einstein. Bien que Mozart y glisse malicieusement le thème du duo « Suzanne/Chérubin » des Noces (Scène IV, n°15), où Suzanne pousse Chérubin à sauter par la fenêtre pour échapper au Comte, ses intentions sont difficilement perceptibles : cherche-t-il, comme Chérubin, à fuir ou, plus sérieusement envisage-t-il un bond vers l’inconnu ? Par exemple, l’achèvement d’un parcours initiatique au cours duquel une partie de lui-même serait morte pour renaître à la vérité ?
Tamino ?
Alice BLOT
Nomenclature orchestrale :
2 flûtes, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, timbales et cordes.