Il s’est toujours trouvé, au cours des siècles, des œuvres d’art plus énigmatiques que d’autres, qui, échappant à tout déterminisme devait engendrer des interprétations aussi plausibles que fantasques. Ainsi en est-il de la Symphonie en fa diéze mineur composée au sommet de la période Sturm und Drang (1) de Haydn et qui se place parmi les plus parfaites et les plus avancées de l’époque. Son originalité première vient de la tonalité même de fa dièze mineur (sur les 15 000 symphonies écrites au XVIIIe siècle, elle est la seule à utiliser cette tonalité), et sa structure en cinq mouvements, où le quatrième et dernier mouvement se compose d’un presto et d’un adagio. Parallèlement à ces innovations formelles, le fond évolue vers une écriture orchestrale beaucoup plus riche, compacte et expressive (notamment les vents), de nouvelles interactions internes, une abondance de modulations et de chromatismes jetant des ombres inquiétantes à une musique qui, avec Haydn, quitte le cadre idyllique du XVIIIe !
La première exécution de cette symphonie eut très probablement lieu à Esterhaza (2), à la fin de l’automne 1772, la dénomination de « Symphonie des adieux » étant alors absente, tout comme lors de sa première édition, à Paris, en 1775 ! On ne sait donc pas à qui attribuer la paternité d’un tel titre qu’explique l’abandon successif de la scène par les instrumentistes au cours de l’adagio final…Haydn aurait voulu attirer l’attention de son prince sur l’impatience ressentie par ses musiciens de voir se terminer une saison qui n’en finissait pas (les familles n’étant pas admises à Esterhaza) ; ou bien, voulait-il marquer sa désapprobation face à la décision du prince de congédier, pour des raisons financières, une partie de sa chapelle (son « outil de travail »). Nombre d’histoires plausibles circulent, mais une chose est certaine : Haydn voulait manifester son mécontentement….Ainsi, le Finale (Presto – Adagio) en fa dièze mineur s’ouvre sur cent cinquante mesures particulièrement vigoureuses, donnant le sentiment d’une symétrie affirmée en dépit de la tonalité mineure, quii vont s’interrompre sur un accord de dominante (do dièze). S’ouvre alors, de manière totalement inattendu, un adagio en la majeur et de mesure ternaire (un 3/8) porté par l’ensemble des instruments …Après un éloquent unisson, le premier hautbois et le second cor quittent la scène, bientôt suivis par le basson, puis le reste des vents. Seules restent les cordes qui durant treize mesures particulièrement modulantes, dominées par les contrebasses conduisent à un fa dièze majeur (correspondant de la tonalité initiale). Cet éclairage soudain semble contredis par la réduction de plus en plus sensible de la troupe orchestrale : les contrebasses s’en vont, puis les violons (hormis deux solistes), et enfin les altos…Ne restent plus que les deux solistes (Haydn est-il alors resté?), l’œuvre s’éteignant pianissimo….
Alice BLOT
(1) La période du « Sturm und Drang », littéralement « Tempête et passion » est un mouvement politique et artistique correspondant à une intériorisation, une personnalisation des sentiments et des affects ; une mouvance pré-romantique
(2) Esterhaza : résidence secondaire des prince Esterhazy, considérée comme un « petit Versailles », pourvu de deux Théâtres
Durée : 8 minutes environ
Nomenclature orchestrale : 2 hautbois, basson, 2 cors, cordes
Dernière exécution à Monte-Carlo : 30 janvier 1982 Salle Garnier, Pleyer Friedrich, direction