« Le Sultan Shahriar, persuadé de la fausseté et de l’infidélité des femmes, avait juré de mettre à mort chacune des siennes, après la première nuit. Mais Shéhérazade sauva sa vie en intéressant le Sultan aux contes qu’elle lui raconta et sut la prolonger durant mille et une nuits : curieux de connaître la suite de ces histoires, il remettait de jour en jour le supplice de son épouse. Finalement, il renonça totalement à ses intentions premières et éleva Shéhérazade au rang de Sultane ».
Tel est l’argument dont Rimsky-Korsakov a tenu à faire précéder sa partition qu’il acheva en 1889. Mais il convient de savoir que par un processus assez rare, l’intention littéraire s’est superposée à une partition antérieurement composée.
En effet, dès l’hiver de 1887-1888, le musicien avait eu l’idée d’une simple « pièce pour orchestre », à partir de certains épisodes des Contes. Il nous confie même : « j’avais primitivement eu l’intention d’appeler les quatre parties de « Shéhérazade » : Prélude – Ballade – Adagio – Finale ».
Et beaucoup plus tard, Rimsky-Korsakov précisera : « Ce nom des « Mille et une Nuits » évoque pour chacun l’Orient et ses contes merveilleux. En composant « Shéhérazade », je ne voulais, par les indications données, uniquement orienter quelque peu la fantaisie de l’auditeur du côté où s’était dirigée ma propre fantaisie. Je voulais simplement que l’auditeur eut l’impression nette qu’il s’agissait d’un récit oriental et pas seulement de quatre pièces jouées à la suite l’une de l’autre sur des thèmes communs ».
Et même si le thème dit « masculin » du premier mouvement illustre bien le Sultan ; si le thème opposé, une grande vocalise du violon solo, évoque la future Sultane, et reparaît logiquement entre chaque épisode de son récit ; si certains thèmes secondaires dépeignent certains autres personnages de l’un ou l’autre des Contes, ce serait une grande erreur de vouloir faire de cette partition une « suite dramatique » qui raconte avec précision des « aventures », au lieu d’une « suite symphonique » qui évoque une atmosphère, des rêves de pays lointains, mystérieux et tout imprégnés de légendes.
On retiendra donc les quatre sous-titres de la partition, mais sans y prêter plus d’importance qu’il ne convient : « La Mer et le bateau de Sindbad », « Le récit du Prince Kalender », « Le jeune Prince et la jeune Princesse », « Fête à Bagdad », » La Mer – Naufrage du bateau sur les rochers ». Par contre, il nous semble plus intéressant de suivre, d’un mouvement à l’autre, les modifications du thème du Sultan Shahriar : brutal, dominateur, et comme impatient d’interrompre la belle narratrice, il s’adoucit peu à peu, se laisse charmer, et, s’il se révolte au début du mouvement final, c’est pour mieux s’apaiser au charme du récit joyeusement coloré des splendeurs d’une fête orientale ! Et l’épilogue, par l’union des deux thèmes, nous laisse sur l’impression d’un « heureux dénouement » de cette belle histoire, auréolée de la magie d’une orchestration riche, évocatrice, envoûtante.
Yves Hucher
Nomenclature orchestrale : 2 flûtes (la 2ème jouant aussi le piccolo), piccolo, 2 hautbois (le 2ème jouant aussi le cor anglais), 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales, percussions, harpe et cordes
Durée approximative : 42 minutes
Dernière exécution à Monte-Carlo : 23 novembre 2014, Auditorium Rainier III – Aziz Shokhakimov direction