A travers Tchaïkovsky, personnalité complexe à la sensibilité exacerbée, se pose le problème de la création artistique par rapport aux conditions esthétiques et intimes.
Homme pétri de contradictions, ce sont celles-ci que le musicien peint à grands coups de lyrisme et de pureté. Pour autant, ses excès naturels ne doivent pas être pris pour un quelconque conformisme romantique ; aux dires de Stravinsky, la musique de Tchaïkovsky, comparée à celle du « Groupe des Cinq », est une voie plus profitable et riche d’enseignement.
Ses deux « Ouvertures-Fantaisies » (1), (selon sa propre terminologie), se démarquent totalement des « Poèmes Symphoniques » de Liszt, dont Tchaïkovsky abandonne le souci descriptif au profit de l’expressif ; expression de sentiments profondément et douloureusement vécus, dûs à une homosexualité irrépressible, mais culpabilisante et officiellement refoulée. De fait, son idéal féminin engendre des êtres aussi inaccessibles qu’improbables : (Jeanne d’Arc, Astrée, Juliette, Francesca, etc.) dans son œuvre ; Nadejda von Meck, avec qui il entretient une relation épistolaire et platonique, dans la vie.
En 1869, s’étant épris de la chanteuse belge, Désirée Artôt, il se passionne pour le drame de Shakespeare, « Roméo et Juliette » dont il livre une première version musicale en 1870 (Moscou). Mais ce n’est que qu’en 1880 que paraît la version définitive (actuelle), enfin épurée selon ses souhaits.
Rarement compositeur, pourtant considéré comme prolixe, ne se sera imposé un tel dépouillement.
Après exposition des deux thèmes, le premier reflétant l’amour fusionnel mais impossible de Roméo et Juliette, alors que le second stigmatise l’implacable haine opposant les Capulet aux Montaigus, ceux-ci ne vont cesser de se heurter, de s’opposer jusqu’à leur fin tragique. La mort des deux amants de Vérone, que Tchaïkovsky parvient à retarder grâce à une stupéfiante maîtrise architectonique, est annoncée par les cordes graves.
Tchaïkovsky dont la formation est basée sur l’héritage technique des musiciens de métier, et non sur l’empirisme instinctif, a marqué le développement des écoles symphonique, lyrique et chorégraphique en Russie. Par sa présence et ses succès, il a aidé à officialiser la place et le rôle du compositeur dans la société russe.
Alice Blot
(1) la seconde étant « Francesca da Rimini » (1876)
Nomenclature orchestrale :
2 flûtes, 1 piccolo, 2 hautbois, 1 cor anglais, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, 1 tuba, timbales, percussions, 1 harpe et cordes.