Composée en 1907. Créée le 15 mars 1908, au Théâtre du Châtelet à Paris, par l’Orchestre des Concerts Colonne, sous la direction d’Edouard Colonne
I – Prélude à la nuit
II – Malaguena
III – Habanera
IV – Feria
Mai 1907 : au Théâtre du Châtelet, les parisiens découvrent la Salomé de Richard Strauss, mouvante princesse livrée aux premiers frissons du désir, incarnée par une Emmy Destinn dont la sensualité et l’érotisme sanguinaire ne peuvent laisser le spectateur insensible. Succès parfumé de scandale, subissant la colère de la critique plutôt que celle du public. A Paris toujours, Rimsky-Korsakov, Chaliapine, Rachmaninov et Nikish présentent une grande série de concerts russes. Une invasion de musiques étrangères exigeant de l’art français une réaction appropriée : parce que le Capriccio espagnol de Rimsky-Korsakov est sans cesse cité en exemple pour son orchestration, Ravel décide de relever le défi en concevant à son tour “quelque chose d’espagnol”, avant que les Russes ne débarquent à nouveau au cours de la saison suivante. La Symphonie espagnole de Lalo, créée en 1875 par Pablo de Sarasate, España de Chabrier, composée en 1883 à la suite d’un voyage du compositeur et de son épouse en Espagne, mais aussi Carmen de Bizet avaient déjà montré le chemin, et la fascination exercée par les rythmes de habanera sur les musiciens français. Il y avait aussi eu Iberia de Debussy, ainsi qu’une Soirée dans Grenade, deuxième de Trois estampes dont les tournures andalouses devaient moins surprendre qu’un interminable do dièse, d’ailleurs emprunté à une vieille Habanera de Ravel. « Quand on n’a pas le moyen de se payer des voyages”, écrivait Debussy à André Messager, “il faut suppléer par l’imagination”.
Chez Debussy comme chez Ravel, les ingrédients n’étaient guère différents, même si l’Espagne du premier était sensuelle, celle du second plus aride et acérée. En 1907, Ravel achève une première version pianistique de l’Heure espagnole avant de s’attaquer à cette nouvelle Rapsodie espagnole, dont un mouvement doit reposer sur l’orchestration d’une habanera pour deux pianos plus ancienne. Lorsque l’oeuvre est créée en mars 1908 au Théâtre du Châtelet, le public ne semble pas comprendre. Ou ne veut pas le faire. Du poulailler où se sont réunis les Apaches, une voix, celle de Florent Schmitt peut-être, invite Edouard Colonne à insister : “Encore une fois pour ceux d’en bas qui n’ont rien compris”. Le chef reprend la Maguelana, qui fait notamment réapparaître le thème mystérieux de quatre notes du premier mouvement. Peut-être la magie orchestrale de la partition doit-elle autant à l’Espagne qu’à un amour de la danse très ravélien, permettant au musicien de bâtir un discours extrêmement vivant, voire convulsif et obsédant, sur des couleurs instrumentales toujours plus surprenantes, sur des rythmes ou des gestes brefs. Evidemment, les critiques se disputent à leur tour. Lalo est furieux, Roland-Manuel sensible à cette “Espagne de songe et de mensonge” chère à Ravel. C’est dans la Rapsodie espagnole, expliquera-t-il quarante ans plus tard, “que retentit pour la première fois cet orchestre nerveux, félin, dont la transparence, la netteté et la vigueur sont exemplaires ; dont la sonorité tout ensemble soyeuse et sèche est comme la marque de Ravel. Aucune instrumentation n’avait encore obtenu de tutti plus cassants, de piani plus légers. Géomètre du mystère, Ravel sait doser maintenant les impondérables de la substance sonore sur les balances les plus sensibles et les plus justes du monde”.
François-Gildas TUAL
Nomenclature orchestrale :
2 flûtes – 2 piccolo – 2 hautbois – cor anglais – 2 clarinettes – clarinette basse – 3 bassons – contrebasson – 4 cors – 3 trompettes – 3 trombones – tuba – timbales – percussion – 2 harpes – célesta – cordes
Durée approximative : 16 minutes
Dernière exécution à Monte-Carlo : 7 décembre 2008 – Auditorium Rainier III – Miguel Harth-Bedoya, direction