Opéra, oratorio ou mélodrame, les dix dernières années de Schumann portent le rêve d’une forme lyrique nouvelle qui constituerait la synthèse de son expérience musicale, tout en s’adressant directement à un large public allemand. Les projets ne manquent pas et, au gré de ses nombreuses lectures, le musicien reste à la recherche des sujets qui sauront répondre à son attente. Mais la scène des théâtres et les demandes du public lui demeurent étrangères et c’est non sans difficultés qu’il compose Le Paradis et la Péri, Genoveva, Manfred, le Requiem pour Mignon, Le Pèlerinage de la rose et les Scènes de Faust. Autant d’ouvrages lyriques qui ne participent que de manière très indirecte à la renaissance de l’opéra allemand, dans l’héritage de Weber et la compagnie de Wagner.
Pour Manfred qui se présente sous la forme d’un mélodrame pour cinq récitants, chœur et orchestre, et est ainsi créé par Franz Liszt à Weimar, en 1852, Robert Schumann s’est inspiré de Byron, dont l’ombre très noire plane sur toute la création musicale et picturale de son temps. Son poème dramatique Manfred n’évoque-t-il pas la destinée fatale de celui qui, après avoir aimé sa sœur Astarté, et causé sa mort, recherche partout l’oubli et finit par mourir à son tour, encore prisonnier de ses remords et de son orgueil ? Sujet romantique, s’il en est, qui trouve certainement un écho intime chez le compositeur. C’est à peine si un Requiem rédempteur vient, dans l’adaptation musicale, tempérer les derniers moments du héros maudit, au terme de son périple suicidaire depuis les sommets des Alpes jusqu’aux demeures de la mort, où l’attend Astarté.
De cette œuvre pourtant si personnelle et si novatrice, mais qui en son temps n’a connu qu’un faible succès, n’est guère demeurée que l’Ouverture qui, elle, n’a pas abandonné le répertoire traditionnel des concerts. Dès le 14 mars 1852, Schumann en donne isolément une première audition. Elle rend compte du climat général du mélodrame avec les deux thèmes évoquant la détresse d’Astarté qui encadrent celui, particulièrement tourmenté, de Manfred.
Les influences de Beethoven, de Weber et de Mendelssohn sont évidentes dans l’ensemble de la partition et déjà, bien sûr, dans cette Ouverture. Mais comment ne pas noter aussi ce qui la rapproche d’autres compositions de Schumann, depuis les nombreux Lieder et pièces pour piano seul qu’il a composés au cours des années précédentes jusqu’à la Quatrième symphonie qui en est à peu près contemporaine ? Rarement le trouble personnel d’une âme créatrice aura trouvé un accord aussi profond avec les couleurs dominantes de son époque.
Pierre Cadars
Nomenclature orchestrale :
2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, timbales et cordes.