« Villanelle »
« Le spectre de la rose »
« Sur les lagunes »
« Absence »
« Au cimetière, Clair de lune »
« L’île inconnue »
Alors que depuis la fin de l’Ancien Régime la mélodie française connaît une crise la réduisant à une douceâtre et sentimentale romance de salon, Hector Berlioz apparaît comme le précurseur d’une autre forme de chant. Certes l’harmonie n’a rien d’innovante, mais la beauté de ce que l’on peut considérer comme un véritable cycle réside dans un chromatisme avant tout mélodique, et dans le soin apporté au dialogue voix/orchestre. Ce qui ne surprend pas chez cet inventeur de l’orchestre moderne où les combinaisons de timbres prennent un sens nouveau. Concernant les « Nuits d’été », elles mettent en lumière le sens prosodique de Berlioz, son aptitude à faire ressortir l’aspect dramatique des poèmes, sans tomber dans les pièges de la caricature et de l’exagération mélodramatique. Le mouvement romantique apporte dans la littérature, les arts, les modes de sentir, de vivre, un renouvellement total qui ne pouvait rester sans reflet dans la musique. Berlioz est l’un des tous premiers de son époque à atteindre la maturité créatrice, avec une sorte de fièvre, de désordre intérieur, de passions avides de briser toutes les digues de l’âge classique…
Avec les « Nuits d’été », d’abord composées pour piano et chant en 1841, c’est dans leur orchestration, en mars 1856, qu’elles prennent toute leur signification. Berlioz prend conscience de la valeur de la mélodie hors du cadre rigide de l’opéra. Très au fait de la production littéraire, le musicien choisit six poésies du recueil de Théophile Gauthier, « La Comédie de la mort », (1838). Par leur plasticité, ces vers se prêtaient à recevoir un support musical. Ce sont les premières mélodies de Berlioz réalisant l’idée de cycle, selon le principe actif de l’art du Lied depuis Beethoven, dont le dénominateur commun est le thème de l’amour pour les mélodies extrêmes, et des regrets, sous différentes formes romantiques, pour les quatre autres.
– Villanelle : le ton est à la malice primesautière. Le caractère assez fade du poème est compensé par un capricieux coloris orchestral plein d’entrain.
– Le spectre de la rose est le type même de la mélodie romantique, ample et somptueuse comme un grand air d’opéra. Les trois strophes qui la composent, chacune accompagnée différemment, offrent une progression dramatique : la réussite de Berlioz est totale.
– Sur les lagunes est un lamento. De forme ABA’ avec refrain, le thème du voyage fait son entrée pour dissiper un amour défunt. D’un exotisme à peine voilé, le musicien exploite les formules mélodiques des chants de matelots. D’une grande intensité dramatique le refrain, descendant, justifie la sincérité de la plainte.
– Absence : il s’agit également d’un lamento, mais de forme simple (trois couplets entrecoupés de deux refrains). L’écriture sans détours évoque l’expression de la douleur nue, avec autant de pudeur que de refus de l’emphase. Ce chant lancinant aux modulations mouvantes contient plus de désespérance que de pessimisme. Malgré sa discrétion, l’orchestration joue un rôle prépondérant.
– Au cimetière, Clair de lune : Berlioz désire faire sentir les effets douloureux d’une musique idéale. La souffrance de ce lamento s’exprime par l’emploi de petits intervalles et un soutien atone. Son mystère nocturne est conservé par un jeu d’éclairages subtils.
– L’île inconnue : ce poème est du Baudelaire avant la lettre. Page au lyrisme ardent et à l’ironie cinglante, elle referme le cycle par une redite ingénue de la première mélodie.
Berlioz est un romantique vrai, ayant su concilier clarté latine et vapeurs fuligineuses de l’esprit nordique.
Alice BLOT
Nomenclature orchestrale : 2 flûtes, hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 3 cors, harpe et cordes
Durée approximative : 31 minutes
Dernière exécution à Monte-Carlo : 4 août 2013, Cour d’Honneur du Palais Princier – Karine Deshayes mezzo-soprano, Giancarlo Guerrero direction