Sur les quarante cinq numéros d’opus que compte la production de Rachmaninov, il est intéressant de noter qu’il n’y a, pour ainsi dire, rien à mettre au rebut. Originaire de Novgorod, l’enfant reçoit ses toutes premières impressions musicales des églises, les cloches autant que la liturgie orthodoxe. Sa formation chez le célèbre professeur de piano moscovite à l’efficacité aussi redoutable que légendaire, Nikolaï Zverev, sera décisive, tant sur le plan pianistique que sur celui de l’ouverture intellectuelle (littérature, poésie, théâtre, rencontres d’artistes, etc.). C’est là qu’il va être remarqué et encouragé par Tchaïkovski, figure tutélaire dont l’influence sera prépondérante jusqu’à la fin du siècle, avant de faire ses classes d’écriture avec Arenski et Tanaïev, obtenant la médaille d’or du Conservatoire (Moscou) en 1892, avec son opéra Aleko, d’après Pouchkine. Entre 1893 et 1897 paraîtront coup sur coup ses premiers opus d’importance, dont Le Rocher, op.7, avant que l’interprétation de sa Première Symphonie sabordée par un Glazounov (ivre) au pupitre et assassinée par le critique (et, membre des Cinq), César Cui…ne jette Rachmaninov dans une dépression et un silence de trois ans, (ne maintenant que son activité de pianiste et de chef d’orchestre). Créée à Moscou, C’est au cours de l’été 1893, dans une paisible maison de villégiature, non loin de Kharkov, que Rachmaninov compose sa Fantaisie, op.7, (Le Rocher), entendue et approuvée par Tchaikovski, qui aurait du en assurer la création… (il meurt le 6 novembre ! ). Le Rocher est créé à Moscou, le 20 mars 1894, sous la direction de Vassili Safonov. Sur la partition l’auteur indique avoir été influencé par un poème de Lemontov, précisément par ce vers : Au sein d’un rocher géant a sommeillé un petit nuage d’or. Il reconnaîtra plus tard s’être plutôt inspiré de l’ouvrage de Tchekhov, Pendant le voyage, racontant la rencontre, dans une auberge isolée, de deux voyageurs, une charmante et bienveillante jeune fille et un homme d’âge mûr accablé par la vie. Au cours de la nuit, il va lui raconter ses infortunes et, au matin, elle s’en va, le laissant seul avec ses regrets.
Musicalement, la pièce s’ouvre sur un thème confié aux violoncelles et contrebasses, rejoint par le basson sur un insistant intervalle de demi-ton descendant (l’homme), jaillit alors une flûte brillante (la jeune fille). La flûte introduit ensuite un motif, qui va parcourir toute la partition, symbole des infortunes du personnage. Ces éléments s’entremêlent au cours d’un discours de plus en plus fleuri qui va atteindre son climax avec le départ de la jeune femme, tandis que l’homme regarde s’éloigner le traîneau, le laissant à ses soucis….L’ensemble de l’ouvrage possède ce côté étincelant, rutilant qui est l’une des signatures de Rachmaninov, et une expressivité dont l’intensité, parfois excessive, vire au factice….Usant d’un langage qui aura refusé (jusqu’au bout) les avancées sonores de son temps, le résultat est un peu sclérosé, ce que le Grove Dictionary qualifiait en 1954 (1) de « musique bien construite, efficace, mais monotone dans sa texture..[…], avant de « se rattraper en 1980 (2), affirmant que [sa musique] « n’en est pas moins marquée par une expression sincère et une technique habile. » So British !!
Alice BLOT
(1) Grove Dictionnary, 1954, Eric Blom
(2) Id. 1980, Geoffrey Norris
Nomenclature orchestrale :
2 flûtes, piccolo, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales, percussion, harpe et cordes.
Durée approximative : 16 minutes
Première exécution à Monte-Carlo