Composée en 1880 / dédié à Pablo de Sarasate, créé le 15 octobre 1880 à Hambourg
« Allegro non troppo »
« Andantino quasi allegretto »
« Molto moderato e maestoso »
Avant de s’imposer comme compositeur, Saint-Saëns a triomphé en virtuose. Racontant ses premiers pas musicaux, il se souvient avoir eu très tôt l’oreille délicate, de sorte que l’on s’amusait à le faire désigner les notes produites par « tel ou tel objet sonore, flambeau, verre ou bobèche. » Enfant précoce, il apprend ses notes alors qu’il n’a pas trois ans, joue des sonates à l’âge de cinq, à sept compose avec son professeur Stamaty. A onze ans, il emporte les suffrages de la critique en jouant Mozart et Beethoven à la Salle Pleyel, et cinq ans plus tard concourt au prix de Rome. Etrange revers de fortune, il convoitera par deux fois la prestigieuse récompense, à douze ans d’intervalle, (!) et dans les deux cas échouera, s’annonçant d’autres désillusions dans le domaine de l’opéra alors que l’Eglise lui ouvre grand les portes de ses tribunes. Qualifié par Liszt de « premier organiste du monde », Saint-Saëns est donc né musicien. De ses facilités inouïes, sa musique se fait-elle le reflet ? Ne viennent-elles pas de là, son évidence mélodique et la clarté formelle qui en fait, aux yeux du grand public, la représentante d’un art institutionnel au cœur de la Troisième République, puis la garante de la tradition française à la Société Nationale de Musique ? La facilité, on la devine partout en elle. Dans l’abondance du catalogue comme dans l’élégance et le naturel de la phrase. Mais cette facilité, encore faut-il au compositeur ne pas trop se reposer sur elle. Gabriel Fauré a confié que le Maître l’a sans cesse incité à travailler, à reprendre et à corriger, de sorte que ses encouragements continus l’ont empêché de s’engourdir. Saint-Saëns ne s’est lui-même pas satisfait du jaillissement soudain de l’idée, contrôlant la facilité d’une inspiration par un métier parfaitement maîtrisé. « Souffrir et travailler quand même, toute ma jeunesse s’est passée ainsi et j’y suis habitué », dira-t-il plus tard. Au point que nous pourrions peut-être, comme Fauré, considérer qu’il était un instrumentiste étourdissant, qu’il savait tout mais manquait un peu « d’inexpériences », propos ambigu dans lequel on devine à la fois de l’admiration et un léger regret.
Accompagnées par l’orchestre ou par le piano, parfois destinées aux concours du conservatoire, nombreuses sont les pièces de Saint-Saëns conçues pour faire briller leur interprète. Si le concerto demeure l’espace privilégié de la virtuosité, d’autres œuvres – pour violon notamment – sacrifient à la démonstration afin de mieux nous attirer dans les filets de leurs mélodies. A leur façon, la Romance ou le Prélude sur le thème du Déluge, l’Introduction et Rondo capriccioso ainsi que la célèbre Havanaise furent un peu les tubes de leur époque. Saint-Saëns ne se fait guère d’illusion sur leur postérité, persuadé que le succès ne rime pas toujours avec immortalité. Briller certes, mais avec expression : dès les premières mesures du Troisième concerto, l’instrument soliste multiplie les figures démonstratives, va d’arpèges en doubles cordes, de gammes en ornements, magnifique et fier, appassionato évidemment. L’œuvre est écrite à l’intention de Pablo de Sarasate, également dédicataire de la Symphonie espagnole de Lalo, de la Fantaisie écossaise de Bruch, du second concerto de Wienawski, de l’Introduction et Rondo capriccioso de Saint-Saëns. Œuvre de virtuose pour un virtuose, le Troisième concerto ne se lance pourtant jamais dans les artifices de l’étude technique. Tout l’art du compositeur s’impose dans la construction du propos, dans la façon de réserver les effets pour que le discours ne se transforme pas en une simple succession de formules. Une entrée sur un trille, le rappel d’un thème sur un accompagnement statique et discret de l’orchestre, le questionnement de simples arpèges en harmoniques confèrent à chaque page une teinte particulière. Même le parcours harmonique, cachant précautionneusement ses subtilités avec ses modulations assez éloignées du ton principal, participe à la multiplicité de la palette sans que jamais l’on ne ressente un manque de cohérence ou d’unité. Cette science de l’effet, on la mesure au début du final : les deux intervalles ascendants, si décisifs, sont parfaitement préparés par le gruppetto initial, et ont d’autant plus d’effet qu’ils s’opposent totalement au motif suivant de choral, qui éclatera par la suite comme s’il s’était emparé de l’enthousiasme du refrain. Dès lors la virtuosité n’est plus un élément qui se greffe entre deux thèmes pour animer le dialogue entre le soliste et l’orchestre, elle se glisse dans les arabesques du cantabile, décide du développement des sujets, et ne ressent jamais le besoin de se distinguer pour elle-même, conduisant l’œuvre à son puissant et bref dénouement avec une facilité et un éclat saisissants.
François-Gildas Tual
Nomenclature Orchestrale : 2 flûtes (la 2ème jouant aussi le piccolo), 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, 3 trombones, timbales, cordes
Durée approximative : 29 minutes environ
Dernière exécution à Monte-Carlo : 9 avril 1995, Auditorium Rainier III – Serge Baudo direction, Augustin Dumay violon