Allegro
Larghetto
Allegretto
1786 : Karl-Theodor de Bavière, sous la totale emprise de son confesseur, voudrait interdire toutes les sociétés secrètes : les Francs-Maçons autant que les Illuminés de Bavière. Joseph II à Vienne et Colloredo à Salzbourg refusent de se plier aux desideratas de Karl-Theodor. Cependant les Illuminés étant accusés par la Cour de Munich de travailler à l’annexion de la Bavière par Joseph II, celui-ci fait paraître un édit, le 11 décembre 1785, ordonnant la fusion des huit Loges de Vienne en deux seules Loges : La Bienfaisance de Mozart, et La Vraie Concorde. Pour l’inauguration de sa nouvelle Loge, le 14 janvier 1786, Mozart compose nombre d’oeuvres célébrant la largesse de Joseph II. Cet épisode galvanise pour un temps les sentiments d’amitié, d’altruisme et d’idéalisme entre Mozart et ses “ frères ”. De plus, il s’agit pour Mozart d’une période prolixe et satisfaisante sur le plan musical. Le beau-frère de Joseph II lui commande un court singspiel, Der Schauspieldirektor (ouvrage en un acte, sans véritable intérêt). Beaucoup plus important : après s’être battu pour un projet vieux de cinq ans, Mozart parvient à faire rejouer son Idomeneo, en privé, mais dans des conditions favorables : le public privé n’est formé que de véritables mélomanes. Cependant, en mars, hormis les dernières mises au point de Le nozze di Figaro, le compositeur consacre la majeure partie de son temps à deux nouveaux Concertos pour piano : celui en la majeur, K488 et celui en ut mineur, K491 (respectivement numérotés 23 et 24). Le premier est commencé le 2 mars, le second est achevé le 24 mars 1786 : en trois semaines Mozart écrit deux oeuvres concertantes qui comptent au nombre de ses chefs-d’oeuvre. Il s’agit, comme pour les Concertos en ré mineur (K 466) et ut (K 467), de mars 1785, d’un “ doublé ”, deux protagonistes indissociables formant ce qui est à la base de toute l’écriture mozartienne : une alternance systématique tension/détente. Pour les Concertos de 1786, celui en la majeur précède le tragique de l’ut mineur.
Le Concerto en ut mineur (relatif de mi bémol majeur), tonalité “ maçonnique ” illustre pleinement cet idéal qui confère à Mozart une nouvelle maturité. Tel Tamino répondant à l’appel de Sarastro, (Die Zauberflöte), il s’efforce de surmonter les épreuves qui ne cessent d’entraver sa route. Certes, il connaît ses faiblesses ; il connaît aussi la culpabilité et l’angoisse, moteurs essentiels de son génial épanouissement. Il se battra jusqu’à son dernier souffle. Ce combat donne un sens à sa vie, il en signe également la fin.Comment oublier cette lutte ultime dans laquelle ce Mozart à tête de Janus livre simultanément le fruit de ses dernières forces à un Schikaneder bouffon et à un mystérieux étranger tout de noir vêtu, surgissant à l’improviste pour lui rappeler son ultime devoir : la livraison d’un “ Requiem”; image légendaire immortalisée par Joseph Losey.
Dans les premières mesures orchestrales de l’Allegro initial n’entend-on pas la sentence du Commandeur, (Don Giovanni) ? Un tragique qui se dissipe quelque peu avec l’entrée du soliste sur un nouveau motif en majeur. Ce mouvement complexe qui mêle étroitement deux idées antithétiques n’offre que de remarquables contrastes sans la moindre perte de cohérence. Le Larghetto qui suit lui oppose une simplicité derrière laquelle se fait sentir une somptueuse tristesse. Avec l’Allegretto, retour au mineur. Sans jamais franchir les limites d’un pathétique sobre, Mozart joue à la fois sur la forme thème/variations et rondo. La complicité du piano et de l’orchestre aboutit à une incroyable alchimie d’idées mélodiques et de couleurs. Trois mouvements, sans le moindre fléchissement, font de ce Concerto K 491 un indéniable chef-d’oeuvre.
Alice BLOT