Ce sont dans les concertos pour solistes et les opéras (airs d’opéra et de concert) que Mozart a trouvé son mode d’expression le plus abouti. Les deux domaines illustrent en effet le génie dont témoigne Mozart dans les portraits de caractères où se conjuguent virtuosité et besoins d’expression dramatique ; où se déploient une phénoménale invention mélodique, un langage rythmique coulant et un tissu orchestral qui ne cessera de gagner en volupté et en personnalisation notamment par l’émancipation des instruments à vent. Ce que les concertos de Mozart doivent à sa musique vocale (mouvements lents en particulier) transparaît dans les détails d’une inimitable rhétorique, une dramatisation du discours issue du théâtre grec.
En 1785, Mozart, à Vienne depuis trois ans, est enfin reconnu ou, disons plutôt qu’il est la coqueluche d’une société suffisamment volage pour ne pas hésiter à lui tourner le dos quand le vent aura tourné ! Mais Mozart vit l’instant présent, et ce « présent » est au beau fixe. Léopold, ayant fini par obtenir de Colloredo un congé de trois mois, se rend à Vienne chez son fils. Il ne peut cache ni sa surprise ni sa fierté : « Le soir de notre arrivée, nous sommes allés à son premier concert par souscription, où il y avait une grande assemblée de personnes de qualité. […] Le concert fut magnifique, l’orchestre excellent. Outre les symphonies […] il y eut un excellent Concerto de piano de Wolfgang [en ré mineur] sur lequel le copiste travaillait encore lorsque nous sommes arrivés et dont ton frère n’avait pas encore eu le temps de jouer le Rondo parce qu’il devait revoir la copie. Tu penses bien que j’ai retrouvé de nombreuses connaissances et tout le monde est accouru vers moi…[…] Hier nous n‘étions pas au théâtre, car il y a un concert tous les jours […] ton frère joue encore un concerto. […] Tous les jours concert, toujours des élèves, de la musique…[…] Tant de discussions, d’agitations ne peuvent se décrire. Depuis que je suis ici le piano de ton frère a déjà été transporté au moins douze fois au théâtre ou dans d’autres maisons…[…]
(lettre de Léopold à sa fille, 14 février 1785)
L’orgueilleux Léopold ne sait taire sa cupidité : « A son académie, ton frère s’est fait 559 florins […] », « Je crois que mon fils a maintenant 2000 florins à déposer à la banque […] Il y a de l’argent et le train de la maison est économe au plus haut degré quant au budget alimentaire. » Léopold reprend la route de Salzbourg fin avril, Wolfgang ne reverra jamais son père (qui meurt en mai 1787) sinon sous les traits du « Commandeur » !
Concerto pour piano et orchestre n°21, en ut majeur, K. 467
I. Allegro Maestoso
II. Andante
III. Allegro vivace assai
A l’automne 1784, Wolfgang entre en Maçonnerie. Il s’agit d’une véritable conversion psychologique. Déjà épris d’égalité, de liberté et de fraternité, il est désormais convaincu de la nécessité d’échanges réciproques, d’amitiés fraternelles et d’un travail commun pour améliorer la marche de l’humanité, les arts et les sciences. Il reçoit des clartés spirituelles, une maturation lui permettant de se trouver pleinement.
Les deux Concertos en ré mineur (K.466) et ut majeur (K.467) forment une sorte de diptyque, deux œuvres quasi complémentaires écrites en février 1785 (le procédé n’est pas rare chez Mozart et son explication nous conduirait sur des chemins passionnants si nous pouvions les emprunter !). Le Concerto en ré mineur semble une méditation sur le tragique de la condition humaine, là où celui en ut (tonalité de la clarté, voire de certaines réminiscences galantes), respire la sérénité et un nouvel équilibre existentiel.
I. Allegro Maestoso : Sur un rythme solennel, le premier thème, thème de marche, s’affirme clairement, tandis que le second introduit un dialogue flûte/hautbois. En raison de multiples emprunts en mineur qui jalonnent le développement, l’aplomb initial va céder du terrain à l’incertitude, à la mélancolie, voire à l’inquiétude (motif annonçant le futur thème initial de la Symphonie en soi mineur, n°40, K.550). Le retour des premières idées, dont le thème de la marche, réintroduit un climat de confiance et d’assurance.
II. Andante : tout le génie mélodique de Mozart s’épanche en un chant continu à l’émotion dominée mais bien réelle. Un conflit s’installe entre le rythme obsédant des basses et la tendre mélopée que viennent perturber quelques coups de griffes porteurs d’une souffrance que le compositeur saura surmonter : preuve de cette « sagesse » nourrie de fraternité, récemment acquise.
III. Allegro vivace assai : la plupart des musicologues se sont interrogés sur la brusque désinvolture de ce Rondo ; allant jusqu’à penser qu’ici Mozart avait « dû travailler trop vite », tant il se situe à un niveau d’inspiration bien différent ! Il n’empêche, ce dernier mouvement n’en possède pas moins un charme particulier, une allégresse de carnaval (à Vienne, le carnaval bat son plein), des échanges orchestraux burlesques comme les réussit si magnifiquement Mozart. Alors, s’il marque une rupture stylistique et spirituelle certaine, ce Rondo recèle de réelles qualités, dont la première est, sans conteste, d’être, de la main de Mozart !
Alice BLOT
Nomenclature orchestrale :
flute – 2 hautbois – 2 bassons – 2 cors – 2 trompettes – timbales – cordes
Durée approximative : 29 minutes
Dernière exécution à Monte-Carlo : 15 mars 1998, soliste Ludmil ANGUELOV