Composé entre 1830 et 1853 – Créé à Weimar le 17 juillet 1855, sous la direction de Berlioz, et le compositeur au piano
Dernière exécution à Monte-Carlo : 23 juillet 2009 – Cour d’Honneur du Palais Princier – Piano Nicholas Angelich
« …enfant du siècle ayant partagé toutes les douleurs et toutes les erreurs de son temps, et ayant bu à toutes les sources de la vie et de la mort ». Empruntée à George Sand, cette description appliquée à Liszt se charge de naturel et d’authenticité, car plus qu’un génie typiquement romantique, le compositeur est l’esprit même de la musique romantique, creuset de sentiments extrêmes et contradictoires, d’une exaltation où cohabitent rêve, fougue révolutionnaire, spleen byronien, responsabilité sociale et engagement politique, humanisme et élans mystiques auxquels s’ajoute chez Liszt la dualité d’une conscience à la fois occidentale et est-européenne.
A l’opposé de la vie de Ravel, aussi secrète que monolithique, l’existence de « l’abbé-tsigane » est aussi tumultueuse que vertigineuse. Né à Raiding (Hongrie) le 22 octobre 1811, le virtuose du clavier est à Paris dès 1823. Cœur de la vie culturelle et politique, le tourbillon artistique de la capitale ne pouvait qu’aspirer ce jeune prodige adulé, coqueluche des Salons à …douze ans ! Un tel départ laissait présager une trajectoire mouvementée, succession de phases créatrices très contrastées suscitant l’enthousiasme autant que la critique, les admirateurs autant que les critiques.
Dans le compte-rendu d’un concert de 1912, Maurice Ravel écrivait : «Et puis, que nous importent les défauts de cette œuvre, de l’œuvre entière de Liszt ? N’y-a-t-il pas assez de qualités dans ce bouillonnement tumultueux, dans ce vaste et magnifique chaos de matière musicale où puisèrent plusieurs générations de compositeurs illustres ? C’est en grande partie à ces défauts, il est vrai, que Wagner doit sa véhémence trop déclamatoire ; Franck, la lourdeur de son élévation ; l’école russe, son pittoresque parfois clinquant ; l’école française actuelle, l’extrême coquetterie de sa grâce harmonique. Mais, ces auteurs si dissemblables ne doivent-ils pas le meilleur de leurs qualités à la générosité musicale, vraiment prodigieuse, du grand précurseur ? » Le désir de réhabiliter le génie de Franz Liszt fait de Ravel un précurseur, à une époque où le musicien hongrois était volontiers considéré comme un exécutant habile et charismatique, doublé d’un compositeur léger et superficiel !
- Allegro maestoso
- Quasi adagio
- Allegretto vivace – Allegro animato
- Allegro marziale animato
Le Concerto pour piano en mi bémol, publié du vivant de Liszt, connut une exceptionnelle popularité. Esquissé à Rome en 1839-1840, il ne fut achevé qu’en 1848 à Weimar où Liszt venait de s’installer : cette « première période weimarienne » qui s’achèvera en 1861 se distingue par son équilibre et la densité de sa production (poèmes symphoniques). Pour l’orchestration, on sait que Liszt demanda l’aide de son élève Joachim Raff, mais on ne sait dans quelle proportion, le compositeur ayant apporté d’autres révisions au-delà de 1850. Reflétant l’influence de Berlioz, ce premier Concerto se ressent surtout du Cinquième Concerto pour piano en mi bémol de Beethoven (« l’Empereur ») par l’emploi d’une cadence d’ouverture de grande ampleur, l’enchaînement des mouvements sans transition et la présence d’une idée musicale prédominante qui évolue et se développe au cours de l’œuvre ; procédés que Liszt sut adapter à son style, telle la superbe mélodie portée par la flûte solo dans le deuxième mouvement Quasi adagio, qui se transforme en marche dans le final, Allegro marziale animato. Orchestrateur magistral et novateur, Liszt accorda souvent la prééminence à différents instruments de l’orchestre soit seuls, soit regroupés en petites formations (soli de violoncelle dans le second Concerto pour piano en La majeur). Dans le concerto en mi bémol majeur c’est au triangle (surtout dans l’Allegro vivace) que le musicien confère un rôle suffisamment inédit pour s’attirer les moqueries de Hanslick : « Mais, c’est là un concerto pour triangle ! » Liszt se défendra dans une lettre datée de 1857 : « pour ce qui est du triangle, je n’ai pas caché le fait qu’il risque d’en faire achopper certains…surtout si l’instrument est joué avec trop de force et d’imprécision. On a généralement une aversion et une objection préconçue à l’utilisation d’instruments à percussion ; objection justifiée du fait que bien des fois ils ont été mal utilisés. Peu de chefs sont suffisamment circonspects pour présenter ces instruments de manière optimale […] telle que voulue par le compositeur qui est d’ajouter un élément rythmique… […] ». Concernant les cadences, elles sont de sa main.
La forme de l’œuvre, quatre parties jouées sans interruption, échappe à la conception traditionnelle du concerto pour revêtir un caractère rhapsodique évoluant vers la grande variation ce qui n’alla pas sans déconcerter l’auditoire ! Mais, la surprise n’empêche pas l’admiration et lorsque le Concerto pour piano n°1 fut créé au château de Weimar, le 17 février 1855, Liszt au clavier et Berlioz à la baguette, il fut ressenti comme l’un des évènements musicaux des plus remarquables.
Alice BLOT
Nomenclature orchestrale :
2 flûtes – piccolo – 2 hautbois – 2 clarinettes – 2 bassons – 2 cors – 2 trompettes – 3 trombones – timbales – percussion – cordes
Durée approximative : 21 minutes