Composé en 1930, créé en 1932 à Vienne par Paul Wittgenstein, dédicataire de l’œuvre, et l’Orchestre Symphonique de Vienne sous la direction de Robert Heger.
Lento – Andante – Allegro – Tempo I
Bien qu’il ne se soit pas plus consacré que Rossini à la symphonie – du moins sous son appellation habituelle –, Ravel se distingua rapidement par sa science de l’orchestration, obtenant des couleurs instrumentales aussi surprenantes dans ses Valse et Rapsodie espagnole que dans ses ballets, et réussissant, par le seul renouvellement des timbres, à maintenir l’intérêt de l’auditeur pendant les quinze minutes de son Boléro.
Son Concerto pour la main gauche ne faillit pas à la règle et, dès les premières mesures, grâce aux violoncelles et contrebasses divisés, plonge l’auditeur dans un monde sombre et oppressant. Commandée par Paul Wittgenstein, pianiste autrichien amputé d’un bras pendant la Première Guerre Mondiale, l’œuvre fait de son handicap un véritable défi : “dans une œuvre de ce genre, explique le compositeur, l’essentiel est de donner non pas l’impression d’un tissu sonore léger, mais celle d’une partie écrite pour les deux mains. Aussi ai-je eu recours ici à un style beaucoup plus proche de celui, volontiers imposant, qu’affectionne le concerto traditionnel”. Cette forme traditionnelle, Ravel a longuement hésité à la reprendre à son compte, envisageant tout d’abord d’écrire une rhapsodie avec piano dont les esquisses ont finalement profité au Concerto en sol : “Je pense, en effet, que la musique d’un concerto peut être gaie et brillante, et qu’il n’est pas nécessaire qu’elle prétende à la profondeur ou qu’elle vise à des effets dramatiques. On a dit de certains grands musiciens classiques que leurs concertos sont conçus non point pour le piano, mais contre lui. Pour mon compte, je considère ce jugement comme parfaitement motivé. J’avais eu l’intention, au début, d’intituler mon œuvre Divertissement, puis j’ai réfléchi qu’il n’en était pas besoin, estimant que le Concerto est suffisamment explicite en ce qui concerne le caractère de la musique dont il est constitué”. Ayant mis de côté cet ouvrage pour répondre plus vite à l’invitation de Wittgenstein, il a pourtant été contrarié par les modifications qu’a portées le pianiste à son travail, et a attendu 1937 et la reprise de Jacques Février pour le considérer enfin créé selon ses souhaits.
C’est donc au contrebasson que revient le premier solo de l’œuvre, longue ligne au rythme pointé dont s’empareront la clarinette basse, un cor, des bois et les premiers violons. Dans ce début chaotique perce une réminiscence troublante et caricaturale du Dies irae. C’est un véritable combat que livre le pianiste avide de liberté. Par ses accords ou arpèges étalés sur près de trois octaves, il démontre qu’il n’est nul besoin d’une seconde main pour s’imposer. C’est là, il est vrai, une partition de virtuose, les deux portées laissant à peine deviner la particularité qu’un jeu habile des pédales achève de masquer. Mais rien ne sert non plus d’étaler ses prouesses techniques ; toute victoire remportée sur les embûches qui se dressent à chaque mesure ne sont qu’un cri de révolte, acte de rébellion qui prend son sens dans l’inconscience politique des années vingt, dans les réminiscences indélébiles d’une guerre qui a meurtri le pianiste, et dans une inconscience prête à entraîner l’Europe dans d’autres batailles absurdes. Reste alors la présence du jazz, délirante mascarade associée à un rythme plus militaire. Le pianiste essaye de s’échapper, multiplie les tentatives mais, malgré sa dernière cadence, se voit rapidement rattrapé par l’orchestre ; “Le Dies irae s’affirme alors définitivement et les « rats » de l’orchestre se remettent à grouiller avec ardeur. Un illusoire sursaut final précipitera l’immolation et ce cosmos à la dérive sera fracassé par le martèlement militaire resurgi”. (Marcel Marnat, Maurice Ravel).
F.-G. TUAL
Nomenclature orchestrale :
3 flûtes (la 3ème jouant aussi le piccolo), 2 hautbois, cor anglais, 2 clarinettes, petite clarinette, clarinette basse, 2 bassons, contrebasson, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales, percussions, harpe et cordes.
Durée approximative : 19 minutes