Composé en 1971 et créé le 16 octobre de la même année, à Prague, par Stadler
– Allegro
– Adagio
– Rondo Allegro
« Il s’agit d’un hymne de victoire, et cette victoire est assez complète à présent pour que les luttes et les dangers qu’elle a connus puissent seulement servire à en accentuer le relief ».
L’instrumentation du Concerto pour clarinette en la est achevé en octobre 1791. Ecrit pour le même dédicataire que le Quintette en la (septembre 1789), son frère de Loge Antor Stadler. Les deux œuvres se situent dans la même lignée, offrant de frappantes similitudes (cf Allegro et Larghetto du Quintette et Allegro et Adagio du Concerto). Ecartons d’emblée la légende qui veut que Mozart, dans les derniers mois de sa vie, ait été rongé par la funeste anonyme commande d’un Requiem. Certes, cette Messe des Morts lui fut bien demandée, mais à cette époque, Mozart est tout au bonheur de la réussite : le succès de son testament lyrique dans lequel il a enfin pu se livrer : La Flûte enchantée. Certes, Mozart est physiquement épuisé, il a donné le meilleur de lui-même pour la composition de La Flûte. En dix-huit jours de travail forcené, il a écrit La Clémence de Titus, commande pour le couronnement de Léopold II, futur roi de Bohême. La moindre minute de liberté est consacrée aux premiers numéros de son Requiem (en voiture, durant le voyage qui le conduit à Prague ourle couronnement !)… Il écrira encore le concerto pour clarinette et sa dernière Cantate maçonnique : L’Eloge de l’amitié. Mais, son appréhension face au Requiem, bien que ses forces diminuant rapidement le ramènent à sa propre fin, est due à un souci de probité artistique : il a promis de la faire, il doit le faire.
Dans le Concerto pour clarinette se heurtent, le bonheur de La Flûte et l’inquiétude planante de ce Requiem qu’il ne peut matériellement pas terminer : le tragique est là, non l’angoisse. Opposition lumière/ombre, telle est bien la dualité basique de la philosophie maçonnique. Peu d’oeuvres concertantes auront connu une telle densité, une telle intensité. Exploitée au maximum, les sonorités de l’instrument découvrent une palette expressive que seule la voix saura égaler, voire dépasser. Omniprésente d’un bout à l’autre de la partition, aussi bien dans les tutti que dans les soli, la clarinette renoue avec la tradition du plus pur concerto baroque…
Allegro
Ce mouvement particulièrement dense, fait preuve d’une science instrumentale totalement aboutie. Durant les 56 mesures d’introduction (avant l’entrée véritable du soliste), le thème en deux volets (arsis/thésis se posant chacune sur la sensible) est joué textuellement deux fois. Son départ sur le temps lui confère une allure carrée. De faible ambitus, il est bâti sur l’accord parfait avec un saut de septième (mi-ré) particulièrement signifiant. Suit une ritournelle allègre dans laquelle le thème est repris en canon (violon II/violon I + clarinette). Une seconde ritournelle va introduire d’autres figures rythmiques et mélodiques : cinq blanches (flûtes) autour de la note-pivot, mi ; trilles (violons/clarinette) ; mesure entièrement syncopée (croche/noire) ; croches pointées. C’est sur cet ensemble d’éléments que va se construire l’intégralité de ce premier mouvement dans lequel les modulations (tonalités d’emprunt) prolifèrent avec une alternance privilégiée majeur/mineur (lumière/ombre) ou, entièrement mineures (développement II). Dans la complexité de cette trame orchestrale, pas une seule note ne sera utilisée sans sa complète justification. Après cette introduction : entrée du soliste. Soutenu par les seules cordes, il ne fera entendre, textuellement, le thème principal qu’une seule fois avant de le varier en doubles croches.
Développement I :
Il commence par un énoncé en miroir du thème (thème libre), en la mineur, par la clarinette solo. Ensuite, la clarinette déroulera librement son sujet à partir de toutes les composantes de l’introduction initiale, et en jouant sur les différentes partie du thème I. Les modulations se succèdent alors, alternant ombre et lumière (la mineur, mi majeur, fa# mineur…). Courte demi-cadence en mi, et la clarinette reprend, en canon, le thème initial en mi majeur. Alors que les violons I et II énoncent des figures de la première ritournelle instrumentale (introduction), la clarinette déploie doubles croches et arpèges jusqu’aux trois accords tutti à la dominante. Un soupir, et la clarinette repart sur le thème initial de mi majeur, portée par le seul quatuor. Commence alors le développement II. Plus fourni encore que le précédent, son caractère devient plus inquiétant, modulations mineures (ut dièse, fa dièse)… Le dialogue soliste/orchestre se resserre, la tension augmente tant Mozart entremêle dans une trame orchestrale, maîtrisée à la perfection, tous les éléments constitutifs de ce premier mouvement. La clarinette, dans une gamme ascendante à découvert (mi majeur) nous ramène alors au ton principal et à la réexposition, abrégée et variée ; sorte de passage fluctuant entre une réexposition traditionnelle et une coda terminale explosant en un feu d’artifice sonore qui ne faiblira pas jusqu’aux trois accords conclusifs. Trois accords, trois dièses à la clef : la signature maçonnique est franche.
Adagio
Rarement Mozart n’aura écrit cantabile plus poignant. D’une limpidité éblouissante le thème principal tire toute sa puissance de son, apparente facilité, fragilité… Partant d’un modeste renversement d’accord, 6-4, de ré majeur, la clarinette déploie un chant quasiment désincarné, comme déjà hors de ce monde… Comment ne pas songer à L’Ave Verum (datant de la même époque), d’une égale simplicité factuelle, d’une incompréhensible beauté. Parallèlement, cet Adagio nous plonge au cœur de La Flûte : l’ouverture du second acte. Chant de fraternité, ce mouvement lent, dans son apparente pudeur, détient les forces expressives les plus idéalisées.
Rondo Allegro
A la nostalgie succède l’allégresse. Plus proche des « Noces » que de La Flûte, le mouvement dans son ensemble retrouve une vitalité » et une sensualité dont nous avait éloigné le mouvement précédent. Exposé d’emblée par la clarinette solo, le thème sera repris par le tutti avant de partir dans une envolée de doubles croches. La forme rondo est parfaitement respectée, mais Mozart lui confère un traitement hors du commun. De soudains passages en mineur créent de saisissants instants de tension quoi ne sont que la réminiscence concentrée de l’esprit général de l’ouvre. De manière très inattendue, la clarinette (mes.137 – 138) brise l’élan d’ensemble par un second thème, en fa# mineur soutenu par le seul quatuor ; thème repris une seconde fois, une octave plus bas. Ce chant d’une nostalgique beauté semble vouloir nous rappeler l’omniprésence de l’affrontement ombre/lumière. C’est à nouveau une gamme descendante en ré majeur (sous-dominante de la), de la clarinette à découvert, qui nous ramène vers la brillance. La strette étincelante du soliste et la cadence finale, introduisant une dernière fois le thème avant l’ultime tutti, assoit un optimiste sans faille. Cette admirable création mozartienne, un des sommets de tout son œuvre, délivre l’essentiel de son message : le franc-maçon ne craint pas la mort, seule compte l’élévation spirituelle. Lorsque Mozart compose cette page, la mort l’attend déjà irrémédiablement… trois mois plus tard !
Alice BLOT
Nomenclature orchestrale :
2 flûtes, 2 bassons, 2 cors – cordes.
Durée approximative : 25 minutes
Dernière exécution à Monte-Carlo : 17 septembre 2006 – Auditorium Rainier III – Véronique Audard, clarinette