Composée entre 1868 et 1877. Créée au Théâtre de la Cour grand-ducale de Weimar, le 2 décembre 1877, sous la direction d’Eduard Lassen
« J’aimerais à voir une Dalila hystérique », écrit Saint-Saëns à Louis Gallet. « Un Samson illuminé, un prêtre fanatique, seul le vieillard hébreu devrait par son calme faire contrepoids à ces enragés. Au lieu de cela, vous savez ce qu’on donne ! Un Grand Prêtre qui fait le beau, un Samson et une Dalila qui se tiennent à distance respectueuse… » Assurément, Saint-Saëns rêvait d’un magnifique spectacle en composant Samson et Dalila. L’idée, il l’eut en découvrant un livret de Voltaire pour Rameau ; après avoir hésité à tirer un oratorio, il a opté pour la scène, pensant déjà à Pauline Viardot pour incarner le rôle principal. Une telle galerie de personnages aurait dû faciliter les débuts de l’opéra, mais c’est avec beaucoup de difficultés que le projet se réalisera. Achevé en 1865, son précédent ouvrage, le Timbre d’argent, lui a déjà valu bien des tracas. Dans le cas de Samson et Dalila, c’est à Liszt que Saint-Saëns doit l’achèvement de son travail. « Terminez votre pièce, je la ferai représenter à Weimar », lui a dit le maître hongrois, lui rendant confiance et l’invitant à ne plus écouter les doutes et réticences de son entourage. La suite de l’histoire a donné raison à Saint-Saëns puisque c’est là son seul opéra qui ait vraiment conquis le public.
De la scène biblique, le librettiste Ferdinand Lemaire a réduit l’intrigue à l’extrême : Dalila a laissé sa cupidité pour faire preuve d’un engagement patriotique dans lequel il est plus agréable de s’identifier, et elle est devenue le jouet – la victime – du véritable personnage noir du drame : le grand prêtre assoiffé de pouvoir. Le clou du spectacle, c’est alors le ballet à la française, une véritable bacchanale introduite par un solo de hautbois non mesuré, comme improvisé et dont les intervalles évoquent bien sûr les langueurs et séductions de l’Orient. Saint-Saëns lui-même a eu l’occasion de traverser la Méditerranée, en 1873 pour se reposer pendant deux mois à Alger. Par la suite, l’orientalisme reviendra de façon plus ou moins perceptible dans ses œuvres, dans la Suite algérienne composée en 1880 à Boulogne-sur-Mer, dans Africa, rhapsodie pour piano et orchestre écrite au Caire, dans le Caprice arabe ou le Cinquième concerto dit « l’Égyptien » car conçu à Louxor. Mais on remarque alors qu’un titre est parfois plus évocateur que la musique elle-même. Peut-être Saint-Saëns a-t-il entendu quelques mélodies à Alger, et peut-être celles-ci l’ont-elles inspiré sans qu’il ait pour autant prétendu les reproduire telles quelles. Mais l’orientalisme de Saint-Saëns ne résulte pas d’une imitation, et s’affiche plutôt en demi-teinte. Son esprit est ainsi distillé dans un espace harmonique et rythmique qui n’a pas subi la moindre atteinte au moment de traverser la frontière. Si le ballet est une façon pour le compositeur de saisir les couleurs entrevues au cours des voyages, Saint-Saëns se réfère sans doute aussi à la Bacchanale de Tannhäuser, opéra de Wagner. Toujours est-il que sa danse célèbre le vin et l’ivresse. Avec ardeur et légèreté, tant les mélodies débridées servent l’élan de la fête. Le rythme est de plus en plus entraînant au fil du renforcement des percussions : triangle, grosse caisse, cymbales et « castagnettes de bois et de fer » … : Samson et Dalila réclame un riche effectif instrumental. Enfin, le second thème est lancinant jusqu’à en être presque vulgaire. Il ondule sur des syncopes envoûtantes, délicatement accompagné par la harpe, puis enfle jusqu’à s’emparer totalement du voyageur imprudent. D’un érotisme irrésistible.
François-Gildas Tual
Nomenclature Orchestrale : 2 flûtes, piccolo, 2 hautbois, cor anglais, 2 clarinettes, clarinette basse, 2 bassons, contrebasson, 4 cors, 2 trompettes, 2 cornets, 3 trombones, tuba, timbales, percussions, harpe, cordes
Durée approximative : 8 minutes environ
Dernière exécution à Monte-Carlo : 12 mars 1983, Auditorium Rainier III – Lawrence Foster direction