Composée en 1877, créée le 10 février 1878 à Moscou, sous la direction de Nikolaï Rubinstein.
– Andante sostenuto – Moderato con anima
– Andantino in modo di canzona
– Scherzo : Pizzicato ostinato (Allegro)
– Finale : Allegro con fuoco
« Vous me demandez si cette symphonie possède un programme précis ? Je vous répondrai : aucun. Mais en fait, il est difficile de répondre à cette question. Comment exprimer ces sensations indéfinies par lesquelles on passe lorsqu’on écrit une œuvre instrumentale sans sujet précis ? C’est un processus purement lyrique. C’est la confession musicale de l’âme qui est passée par beaucoup de tourments et qui par nature s’épanche dans les sons, de même qu’un poète s’exprime dans les vers. Il y a bien un programme dans notre Symphonie, c’est-à-dire, la possibilité d’exprimer verbalement ce qu’elle cherche à exprimer, et à vous, à vous seule, je puis et je désire indiquer sa signification, à la fois dans l’ensemble et dans le détail. »
Adressée au début de l’année 1878 à Nadejda von Meck, cette confession de Tchaïkovsky répond peut-être à une suggestion de sa nouvelle confidente et protectrice, suggestion de composer un reproche qui évoquerait à la fois « une peine morale insupportable, un cœur brisé, la foi foulée aux pieds, le bonheur perdu, bref tout ce qui est cher aux hommes et dont ils sont impitoyablement frustrés » . Un an plus tôt, au mois de mai 1877, Tchaïkovsky expliquait en effet être absorbé par la symphonie qu’il voulait lui dédier, car elle y trouverait des échos à ses propres idées et à ses sentiments. Mais elle démontre surtout combien peuvent être floues les frontières entre la forme classique et la musique à programme, et combien il est important pour le musicien russe, à l’opposé de Berlioz par exemple, de ne pas étaler sur la place publique ses sources d’inspiration, surtout lorsque celles-ci renvoient au plus intime de son existence. « J’étais tellement cafardeux l’hiver dernier, lorsque j’écrivais cette symphonie, et elle reflète fidèlement tout ce que j’ai ressenti. Ce sont des souvenirs généraux sur la violence et l’effroi des sensations éprouvées. »
Certes, ici Tchaïkovsky ne se soumet pas à une trame narrative littéraire. Se déclarant héritier de la 5ème symphonie de Beethoven, il répond à des nécessités plus personnelles, plus musicales aussi. Son interprétation elle-même peut avoir été inventée une fois l’œuvre terminée, remettant en cause les possibles implications sémantiques du travail compositionnel. Mais les sonneries de cuivres qui annoncent, telles les quatre notes de son prédécesseur viennois, le destin inéluctable, le mouvement de valse triste et le thème de clarinette onirique n’ont guère besoin de mots pour qu’on en saisisse le sens : »Non seulement il y a un programme, mais de plus il n’y a aucun doute quant à ce qu’elle cherche à exprimer ». L’introduction, déclare Tchaïkovsky est « le germe de toute la symphonie, son idée principale. C’est le fatum, cette force inéluctable qui empêche l’aboutissement de l’élan vers le bonheur, qui veille jalousement à ce que le bien-être et la paix ne soient jamais parfaits ni sans nuage, qui reste suspendue au-dessus de notre tête comme une épée de Damoclès et empoisonne inexorablement et constamment notre âme. Elle est invincible et nul ne peut la maîtriser. Il ne reste qu’à se résigner à une tristesse sans issue. »
Dans le premier mouvement se retrouvent les consolations trompeuses du rêve et le retour brutal à la réalité. Le deuxième est un mélange de mélancolie et de lassitude nocturne. Quant au troisième, la légèreté qui caractérise les débuts de l’ivresse, ni triste, ni gaie, avec dans le lointain une chanson de rue de moujiks éméchés, et un défilé de soldats. Pour finale, une grande fête populaire : « Si tu ne trouves aucun motif de joie en toi-même, regarde vivre les autres […] Ne dis pas que tout est triste en ce monde. Il existe des joies simples mais fortes. Réjouis-toi de la joie des autres. On peut quand même vivre ».
Reste à savoir si l’on peut ainsi révéler ce qui devait demeurer secret. Plus qu’aux thèmes ou aux tonalités, aux mélodies, aux rythmes ou aux harmonies, c’est à leur confrontation dans la grande forme qu’il revient de guider l’auditeur en l’absence de programme officiel. Les contrastes sont autant de coups de théâtre qui ponctuent une histoire, tandis que les changements de tempo en découpent distinctement les divers épisodes. Citant Heine, Tchaïkovsky rappelle que la musique commence là où les paroles s’arrêtent. Et à son élève Taneïev qui remarque la ressemblance de la symphonie avec « un poème symphonique auquel on aurait ajouté par hasard trois autres mouvements », il répond, sans craindre de se contredire : « Le programme demeure impossible à formuler avec des mots. Cette symphonie exprime ce que les mots ne peuvent traduire, l’indicible, ce que son âme lui impose néanmoins de communiquer. »
François-Gildas TUAL
Nomenclature orchestrale :
2 flûtes – piccolo – 2 hautbois – 2 clarinettes – 2 bassons – 4 cors – 2 trompettes – 3 trombones – tuba – timbales – percussion – cordes.
Durée approximative : 44 minutes
Dernière exécution à Monte-Carlo : 8 août 2010 – Cour d’Honneur du Palais Princier – Direction : Jaap van ZWEDEN