Composition : 1862
Enfant, Grieg s’imagina pasteur plutôt que musicien, mais il avait à peine cinq ans qu’il s’enivrait déjà des harmonies les plus subtiles de son piano. Parti quelques années plus tard à Leipzig, le futur compositeur se forma sous la direction bienveillante d’Ernst Friedrich Richter, de Robert Papperitz et de Moritz Hauptmann, puis entra la classe de Carl Reinecke. Et pour faire ses gammes, il dut naturellement écrire quelques fugues parmi lesquelles une jolie pièce en fa mineur pour quatuor à cordes, et un Dona Nobis Pacem pour chœur a cappella. Un apprentissage rigoureux, dont il demeura non pas les « ingrats chefs-d’œuvre d’un bon harmoniste » – pour reprendre l’expression de Jean-Jacques Rousseau – mais les pierres de touche du savoir du musicien – ainsi que le dirait Joseph D’Ortigue dans son Dictionnaire de Plain-chant –. D’ailleurs, Moritz Hauptmann lui-même se montra fort élogieux dans le certificat de fin d’étude de Grieg, signalant notamment « la maîtrise théorique » de son élève…
Le catalogue de Grieg se refermant avec Quatres Psaumes sur une autre partition sacrée d’une grande beauté, nous aurions donc bien tort de ne voir qu’un simple exercice dans le Dona Nobis Pacem du Norvégien. Si la fugue Dona Nobis Pacem ne s’éloigne guère du sujet énoncé par les basses, chaque nouvelle entrée aboutit à quelque chose de différent, tantôt un mélisme mélodique, tantôt un simple motif chromatique. Les quatre voix réunies, le sujet s’impose encore, mais ses reprises sont désormais plus rapprochées, à distance d’une simple blanche, annonçant quatre nouvelles entrées resserrées à l’image d’une strette. Puis il revient à la basse de transformer le matériau en dédoublant les valeurs : la croche devient noire, et la noire blanche selon le principe de l’augmentation rythmique. Plus que des artifices, ces jeux de forme solidifient la structure, servent de véritable pilier à un sujet terriblement expressif, douloureusement contrit tant il s’emble s’incliner par son mouvement descendant ponctué de chromatismes, plein d’espoir du fait d’un soudain intervalle ascendant de sixte, comparable à un regard éploré vers le ciel. Chaque altération semble vouloir toucher les cœurs par des trouvailles inattendues, en colorant un accord avant d’entraîner une véritable modulation…
A Leipzig, Grieg se familiarisa avec la musique de Schumann, apprécia les concerts du Gewandhaus autrefois dirigé par Mendelssohn, assista à une représentation du Tannhäuser de Wagner. Mais Leipzig était surtout la cité pour laquelle le grand Jean-Sébastien Bach avait composé sa Passion selon Saint Matthieu, et son souvenir était toujours entretenu par le chœur des jeunes garçons de Saint-Thomas. Sans doute y a-t-il un peu de tout cela dans le Dona Nobis Pacem, à la croisée des passions baroques et romantiques. Et peut-être est-ce là ce qui en fait une œuvre si attachante et si personnelle. Grieg n’entretint pas toujours des rapports faciles avec l’Eglise chrétienne. « Que l’on croie en Dieu, en Satan, au Christ avec le Saint-Esprit et la Vierge Marie, en Mahomet ou en rien », affirmait-il en 1890, « cela ne change rien au fait que le mystère de la mort ne peut être expliqué ». Au point de s’imaginer bouddhiste pour « mieux comprendre et sympathiser avec l’idée de l’anéantissement. » Si Grieg se tourna finalement vers l’unitarisme, entrevit-il l’idée de paix en composant ce Dona Nobis Pacem ? Alors que la basse se fige sur la tonique, une brusque envolée des voix supérieures fait glisser la polyphonie tout entière du mineur au majeur. Une conclusion presque lumineuse, faisant de la modulation musicale une parfaite traduction des mouvements de l’âme et des imprévisibles de la vie.
Chœur « a cappella »
Première exécution à Monte-Carlo