Composition : 1999 (Révision : 2002)
Commande : S.A.R. la Princesse de Hanovre à l’occasion de la célébration du cinquantième anniversaire de règne de S.A.S. le Prince Souverain Rainier III de Monaco
Création : le 19 novembre 1999 lors de la messe d’action de grâce à la cathédrale de Monaco par le Chœur de l’Opéra de Monte Carlo ainsi que l’Orchestre philharmonique de Monte Carlo dirigés par Tõnu Kaljuste.
À Son Altesse Sérénissime le Prince Rainier III de Monaco
La musique estonienne a longtemps souffert de la domination politique et culturelle de ses voisins, et plus particulièrement du joug de la Russie à partir de l’annexion des pays baltes au milieu du 20e siècle. Et rares ont été, jusque dans les décennies récentes, les musiciens estoniens à s’être faits connaître au-delà de leurs frontières. Comptant parmi les premiers représentants d’une musique nationale, Rudolf Tobias s’est finalement tourné vers l’Allemagne, persuadé que la liberté de son peuple dépendait de la construction européenne, et Arvo Pärt a finalement été le premier à avoir été vraiment reconnu sur la scène internationale. Dans un pays soumis à l’autorité soviétique, il a développé un style très personnel, regardant du côté des nouvelles esthétiques sérielles avant d’entreprendre un retour aux sources en se réappropriant les consonances de l’accord parfait. «Je ne suis pas sûr qu’il y ait de progrès en art », explique Arvo Pärt. « Cela a un sens dans la science. Chacun peut comprendre ce que signifie le progrès dans les techniques de guerre. L’art présente une situation plus complexe, beaucoup d’éléments du passé peuvent apparaître plus contemporains que notre art présent. » Depuis les années soixante-dix, sa musique se distingue par un mélange de simplicité et de richesse sonore, de procédures élémentaires et d’harmonies finement complexes. Arvo Pärt y exprime sa foi profonde dans un contexte politique peu favorable à la spiritualité. Ainsi, à propos de l’écriture de Summa en 1977, il raconte : « Je voulais écrire une musique sur les textes du Credo, mais en raison de la censure en Union Soviétique, je n’ai pas pu utiliser ce titre. Summa est par conséquent un titre codé pour Credo. » D’une œuvre à l’autre, du Miserere au Dona nobis Pacem dédié aux victimes des attentats de 2004 à Madrid, Arvo Pärt compose des psaumes pour sauver l’humanité entière. Pour comprendre sa démarche, il faut se souvenir de la présence du premier homme dans son œuvre, d’une lamentation ainsi que d’un concert-spectacle produit par Bob Wilson sous le titre de Passion d’Adam : « Pour moi », confie le musicien, « le nom d’Adam est un nom collectif, non pas simplement évoquant l’humanité tout entière, mais aussi chaque individu, indépendamment de son époque, de sa classe sociale ou de sa croyance religieuse. Adam se lamente sur cette Terre pour des millénaires. Notre ancêtre a pressenti la tragédie humaine, éprouvé sa culpabilité, le résultat de son péché. Il a subi tous les cataclysmes de l’humanité dans les tréfonds d’un désespoir inconsolable et jusque dans son agonie. »
Pour célébrer le cinquantième anniversaire de règne de S.A.S. le Prince Souverain Rainier III de Monaco, Arvo Pärt a donc retenu le Psaume 121 dans la forme latine de la vulgate, l’un des quinze cantiques des degrés (également qualifiés de psaumes graduels ou chants des montées) traditionnellement chantés par les pèlerins ou les prêtres sur les quinze degrés symbolisant les marches menant au Temple de Jérusalem. En 1980 déjà, le compositeur estonien s’était inspiré de ce corpus biblique avec son De Profundis. Ce nouveau psaume, l’un des plus émouvants sans doute, lui inspire une musique d’une simplicité encore plus grande peut-être, moins marquée par le style tintinnabuli qui caractérise habituellement sa musique. Le double mouvement ascendant-descendant des premiers versets, aller-retour entre le terrestre et le céleste, est discrètement traduit par la forme mélodique, procédant elle-même par étape, et la ponctuation du chant par le tintement de cloche. La forme n’est que le déploiement modulant du thème principal, délicatement métamorphosé par des figures. Les contretemps et syncopes instrumentales témoignent de la souffrance humaine, un brusque crescendo insiste sur l’éveil du Seigneur, un diminuendo ramène la paix sur la terre, à la chaleur du soleil ou à la lueur de la lune. La conclusion orchestrale, non pas postlude ou coda mais bien achèvement de l’œuvre, confirme le chemin parcouru dans la foi, lorsque le doute a laissé place à la confiance et l’effroi à un doux abandon.
François-Gildas TUAL
Nomenclature orchestrale :
2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 2 trombones, tuba, timbales et cordes.
Durée approximative : 7 minutes