Si la disparition de Tchaikovsky sonne le glas de la grande époque de la musique russe du XIXe siècle, il ne faut pas pour autant laisser de côté tous ceux qui ont fait le trait d’union entre cette époque et la suivante marquée par Prokofiev, Stravinsky ou Chostakovitch.
Né presque simultanément avec le groupe des Cinq autour de Balakirev (1), Glazounov est une personnalité antithétique, alliant les plus hautes qualités et aptitudes musicales à un penchant destructeur pour l’alcool. Ayant travaillé en privé avec Rimski-Korsakov, il compose, à seize ans, une première symphonie dont l’étonnante maturité autorise tous les espoirs…Intervient alors un riche mélomane, altiste amateur, Mitrofan Belaïev, qui, désireux de transformer les conditions d’existence de ces jeunes musiciens russes, en lui fournissant le soutient financier indispensable, va fonder un cénacle (2) « autour » de Glazounov, animé par Rimski-Korsakolv, maître de toute cette génération et en rupture avec l’autoritarisme communautaire de Balakirev. Belaïev instaure les « Vendredis » musicaux et crée à Leipzig une maison d’édition. Parallèlement à ses neuf symphonies, Glazounov produit nombre de poèmes symphoniques, cantates, musique de chambre, ballets qui vont de pair avec une activité pédagogique soutenue. En 1899, il est nommé professeur de composition et d’instrumentation au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, avant d’en prendre la direction, en 1905 ; poste qu’il conservera jusqu’à son départ pour la France (Paris), en 1928. Sa carrière est alors internationale (tournées de concerts, collaboration avec les Ballets russes de Serge de Diaghilev.) Il meurt, à Paris, le 21 mars 1928, quelques heures avant un festival de ses œuvres au Concert Lamoureux…Si elle affiche une perfection architecturale, une grande pureté d’écriture et une instrumentation confirmée, la musique de Glazounov peine à se départir d’une influence allemande prédominante (Brahms), manquant de ce caractère éminemment russe (si présente chez son maître Rimski-Korsakov), sinon au niveau de l’esprit, du moins au niveau du matériau thématique utilisé…Et, en dépit d’un conversatisme figé, il va influencer Stravinsky, Prokofiev et Chostakovitch…. des compositeurs, et ce n’est là pas le moindre de ses paradoxes, qu’il a vertement critiqués, affirmant que Stravinsky n’avait pas d’oreille et que Prokofiev était un mauvais élément du Conservatoire !
Dans une lettre à Stassov (3), datant de 1882, Glazounov raconte les réactions de Balakirev face à sa partition, La Forêt…Comment après l’avoir réprimandé et lui avoir dit que l’oeuvre n’avait pas de logique interne, il lui fit remarquer que l’épisode des nymphes était non satisfaisant, et concernant celui de la chasse…qu’il n’y avait pas de chasse en forêt, pour finalement lui conseiller de laisser tomber la partition…Balakirev devait, par la suite, changer radicalement d’avis ! Finalement publiée en 1887, année où Glazounov fut totalement absorbée par l’achèvement et l’édition des œuvres de Borodine, récemment disparu, la partition porte le nom de « Fantaisie ». L’ouverture plante le décor d’une forêt mystérieuse dans un sombre Adagio en ut dièze mineur. Puis, la musique s’anime (Allegro) au grès du réveil de la nature que souligne un lumineux thème de clarinette en la majeur ouvrant sur l’épisode des Nymphes (tant décrié par Balakirev!). Cors et trompettes marquent le début de la chasse dans une ambiance de grande excitation…puis le calme revient, dominé par un épisode très suggestif, où flûte piccolo et violon solo incarnent le chant des oiseaux se mêlant bientôt à la sérénité qui marque la fin de cette Fantaisie, parfaitement représentative de l’intérêt porté par les compositeurs nationalistes russes à la musique descriptive, son orchestration et son matériau thématique…
Alice BLOT
(1) Le groupe des Cinq qui s’établit entre 1857 et 1862 regroupe autour de Balakirev, son mentor et autoritaire chef de file, César Cui, Rimski-Korsakov, Modeste Moussorgsky et Alexandre Borodine.
(1) Le cénacle que fonda Belaïev vers 1883-1884 se veut le pendant, mais dans un tout autre état d’esprit, au groupe des Cinq. Abandonnant tout autoritarisme, le groupe illustrait une synthèse entre les nationalistes russes et l’éclectisme occidental de Tchaïkovsky, avec large place accordée à la musique de chambre des trois viennois, Haydn, Mozart et Beethoven.
(2) Vladimir Stassov est, avec Balakirev, l’autre instigateur du groupe des Cinq qui se ralliera au cénacle de Belaïev en 1884
Nomenclature orchestrale :
2 flûtes, piccolo, hautbois, cor anglais, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales, percussion et cordes.
Durée approximative : 17 minutes